La course était bien lancée. Pour éviter une portion de route départementale, le parcours quitte le chemin de Saint Jacques pour se diriger vers le hameau du Cloutet. Après la traversée du lieu-dit, désert ce jour-là comme à l’ordinaire, le chemin devient plus étroit. Trois cent mètres plus loin (km 2,5), Jacques Thomas, l’ouvreur en vélo électrique, voit un homme couché sur le chemin. Dans le feu de l’action, croyant avoir affaire à un farceur, il lui intime : « Sortez-vous de là ! ».
Georges a les pieds sur la gauche du chemin, et est tombé moitié en arrière moitié sur son côté droit. Le cycliste, descendu de sa monture, voit vite, en se penchant sur le visage plutôt tourné vers la terre, l’urgence de la situation. Et c’est à demi-relevé qu’il fait signe à Benjamin Vidal, le jeune ouvreur en quad, de s’arrêter. Arrivent les premiers de la course, Maxime Durand en tête. Puis très rapidement le Lacaunais Nicolas Bremand qui fait s’écarter le petit groupe : « Je suis pompier ! ». Il déchire la chemise et pratique le massage cardiaque. Il a à ses côtés Guillaume Yeddou, pompier (volontaire) lui aussi à Lacaune. Tous les deux prennent la situation en main, et l’infirmière Juliette Bouisson, en course elle aussi, ne tardera pas à les rejoindre. Maxime Durand se tient la tête à deux mains. Quant à Éric Cambon, il s’écrie : « Mickaël, Mickaël ! », car il a cru reconnaître à son crâne dégarni un de ses amis qu’il côtoie en compétition. Par la suite, Georges étant plus ou moins masqué par les pompiers en action, nombre de sportifs, passant en trottant, ont pensé que c’était un des leurs qui avait été victime d’un malaise. Nicolas et Guillaume font pivoter un peu le corps, de façon à laisser un passage suffisant, car toutes ces présences sont devenues un poids. Le quad passe en s’appuyant sur un rocher du bord opposé et, à sa suite, les premiers trailers. Ils s’écartent un peu et le Muratais Lionel Gros, en accord avec sa douzaine de compagnons, conseille à tous de repartir dans la course.
Les services d’urgence sont alertés. Après le dernier concurrent, soit cinq à six minutes après le peloton de tête, Jean Roque conduit le quad fermeur avec, sur la partie arrière du siège, un des secouristes prévus dans l’organisation. L’infirmière Juliette ayant, sans réaction, approché son doigt de l’œil ouvert de Georges, sans doute tous ces professionnels mesurent le degré d’espérance. Mais ils se relaient pour effectuer les massages cardiaques. L’ambulance de Castres Sports Nautiques sera la première sur place, avec mise à disposition du matériel adapté. Quant aux pompiers, l’appel tombant au centre de régulation, ils devront composer avec un problème de géolocalisation, les obligeant à un retour en salle du Petit Train pour complément d’information. Alain Valette, médecin de garde (et des pompiers) est alerté. Il se trouve proche : à deux kilomètres environ, puisque c’est l’un des concurrents d’une épreuve annexe.
Avec le téléphone portable de Georges, il est retrouvé le numéro d’appel de la famille. En l’absence de moyens de l’écrire, ce numéro sera inscrit un peu à l’écart, dans la poussière du chemin. Avant qu’un des secours, ou l’un des gendarmes locaux, n’ait la lourde charge de la prévenir.
Après environ une demi-heure les trois premiers intervenants (Nicolas, Guillaume et Juliette), ayant fait leur devoir, décident de repartir en course. Le cycliste, qui venait d’apprendre la veille que son jeune couple de voisins venait de perdre en maternité la petite fille qu’ils attendaient, les imite quelques minutes plus tard. En appuyant comme jamais un homme de 73 ans n’appuya sur les manivelles.
Le jeudi suivant, pour matérialiser l’endroit précis où Georges termina son parcours, à trente mètres du chemin de Compostelle – parfois appelé « Champ de l’Étoile » (estella en patois) – l’organisateur de l’animation sportive a planté, avec Jacques Thomas, une croix de bois qui peut durer un cycle complet de saisons. Avec sur le transept, deux rameaux de fleurs dont le nom rappelle les travaux de la terre de cette époque. Ce sont des vendangeuses.
André Suc (sur le témoignage de Jacques Thomas et divers échanges)
La famille de Georges Jammes transmet à tous ceux qui se sont impliqués dans les secours ses remerciements les plus sincères.
Amis coureurs, le Comité d’animation de Murat vous félicite pour vos attitudes responsables, et pour vos initiatives adaptées dans ces circonstances si particulières.